Je suis actuellement à Gjoa Haven, au Nunavut, où je viens de présenter mon film The Blinding Sea (Éblouis par la mer en version sous-titrée) à plusieurs reprises à la communauté inuite. Cela a été une expérience extraordinaire. En tant qu’artiste-historien issu d’un milieu social et d’une culture différents, dans le sud du Québec, revenir ici, c’est comme boucler la boucle, revenir à la source.
Gjoa Haven (Uqsuqtuuq) est l’endroit, du côté sud de l’île du Roi-Guillaume dans l’archipel Arctique, à 2084 km au nord de Winnipeg, où Roald Amundsen et son petit équipage norvégien et danois ont passé deux ans (1903-1905) à côtoyer les Inuits et à apprendre d’eux. Ils effectuaient un voyage de trois ans à travers le passage du Nord-Ouest. En fait, la période de deux ans qu’Amundsen et son équipage ont passée à Gjoa Haven a été l’une des plus heureuses et des plus fructueuses de toute leur vie.
Les réactions des Inuits à mon film cette semaine ont été très positives. J’ai été traité avec gentillesse et respect. Au départ, en tant que novice dans l’art du cinéma, personne ne me connaissait ici. Un jour, débarquant à l’improviste du sud du Québec, j’ai commencé à travailler sur mon film. J’allais consacrer plusieurs années et des visites répétées à ce projet. Il était donc important pour moi de gagner et de conserver la confiance des gens d’ici. Pourquoi ? Parce que ces Inuits n’apparaissent pas seulement dans le film: ils ont partagé avec moi des traditions orales, et démontré minutieusement leurs compétences et leur art devant la caméra, par exemple en menant des traîneaux à chiens, en construisant des igloos et en m’épatant avec des séances (privées – je les ai filmées à l’intérieur d’une maison bien éclairée) de chants de gorge. Ces compétences et cet art de chants de gorge ont beaucoup impressionné Amundsen à l’époque.
Paul Ikuallaq, à ma gauche dans la photo ci-dessus, m’a dit qu’il a trouvé le film très intéressant et instructif : il a beaucoup appris en le regardant. Il est le petit-fils de Koleok, une femme inuite qui avait suffisamment connu Amundsen en 1904-1905 pour le demander en mariage. Freda Nakoolaq, à ma droite dans la même photo, joue le rôle de Koleok dans mon film, c’est-à-dire de son arrière-grand-mère inuite : Freda m’a dit que j’ai traité les scènes dans lesquelles elle figure avec respect et goût. Son mari, Leroy Nakoolaq, a dit que c’était très bien que je fasse un film historique, mais pouvais-je aider à amplifier la voix des Inuits aujourd’hui sur la gestion de la faune dans la région de Kitikmeot ? De nombreuses décisions sur les quotas de chasse sont imposées par des bureaucrates du sud du Canada, qui ont peu de connaissances directes sur la taille et la santé des populations d’animaux sauvages ici.
Les descendants de Koleok apparaissent dans ce film, afin de donner un visage humain aux relations qu’Amundsen entretenait avec les Inuits. J’ai également interviewé des descendants d’Amundsen, d’Adrien de Gerlache, de Robert Falcon Scott, d’Ernest Shackleton et de Teddy Evans. Un autre spectateur, Samuel Takkiruq, a déclaré qu’il trouvait le personnage de Shackleton très intéressant : il a noté dans le film que j’avais interviewé la petite-fille de Shackleton, Alexandra, à Athy, en Irlande.
Janet Aglukkaq a dit hier soir, les yeux brillants, « merci d’avoir présenté votre film en personne à Gjoa Haven : je l’ai vraiment apprécié ». J’ai remarqué en salle, lorsqu’elle se regardait faire des chants de gorge avec Robin Ikkutisluk dans Éblouis par la mer, qu’elle était à nouveau en train de bouger les lèvres, assise près de moi, en synchronisation avec sa voix dans le film.
Les Inuits de Gjoa Haven se nomment traditionnellement Netsilingmiut et vivent dans la région de Kitikmeot, qui comprend les parties sud et est de l’île Victoria ainsi que la partie voisine du continent à l’est de la péninsule de Boothia, de même que l’île du Roi-Guillaume et la partie sud de l’île du Prince de Galles.
J’ai découvert une histoire inattendue en réalisant ce film – autour de tables de cuisine dans cette région, sur l’océan Austral et la mer de Beaufort, dans la toundra, en survolant des chaînes de montagnes, et même en visitant des châteaux et d’autres demeures splendides en Europe. Bien sûr, Amundsen était un meneur d’hommes agile, un brillant explorateur norvégien, un athlète et un navigateur, une personne focalisée sur la réussite. Nous avons l’habitude d’entendre ce genre d’histoire, car les récits d’exploration polaire sont généralement racontés en termes de héros polaires blancs allant au bout du monde, bravant tous les obstacles, puis revendiquant des territoires et des ressources pour leur pays d’origine.
Mais Amundsen était bien plus que cela. J’ai découvert le secret, si vous voulez, de sa réussite. Amundsen n’avait aucune ambition impérialiste, coloniale ou d’exploitation. Il était prêt à se présenter humblement devant les Inuits et à leur dire : « Aidez-moi à désapprendre ce que je croyais savoir, puis partagez avec moi ce que vous savez ». À son tour, il a appris aux Inuits à se servir d’armes à feu, à faire des réserves de nourriture pour l’hiver, à faire du ski, et, une fois l’été venu, à nager dans les lacs situés à l’intérieur des terres.
Le film montre comment les Inuits ont transmis à Amundsen de nombreuses compétences, notamment comment lire la glace et la neige des paysages polaires, comment rester en bonne santé psychologique dans les conditions extrêmes du Haut-Arctique, comment éviter le scorbut en mangeant de la viande fraîche, comment mener des attelages de chiens et construire des igloos, comment éviter la cécité des neiges, les engelures, l’hypothermie et d’autres maladies polaires, et comment apprécier la compagnie des huskies ! Il s’agit là de compétences de gestion inuites fondées sur une connaissance approfondie de l’environnement polaire.
Je voudrais revenir sur le désapprentissage, car la vie m’a appris à quel point ce concept est important. On dit que les universités sont des établissements d’enseignement supérieur. Je me souviens avoir enseigné à l’université pendant plus de dix ans, armé de syllabus et de listes de lectures obligatoires, comment des milliers de mes étudiants étaient censés apprendre beaucoup de « nouveaux trucs » à chaque fois. En réalité, l’université ne s’intéressait pas particulièrement au désapprentissage.
Pourtant, si nous sommes incapables de nous libérer, par le désapprentissage, de la pensée par défaut, des hypothèses injustifiées, des vices cachés et des préjugés confortables qui déforment si souvent notre vision du monde, comment pourrons-nous jamais apprendre quelque chose ?
Dans le cas d’Amundsen et des Inuits, le défi particulier était qu’il devait apprendre d’eux non seulement des détails, mais aussi un tout nouveau paradigme de connaissance, une nouvelle façon de voir les choses, d’observer en profondeur, ce qui signifiait mettre de côté ce qu’il croyait savoir, et prendre le temps et faire l’effort d’apprendre à nouveau.
Par exemple, un Inuk, Teraiu, a appris à Amundsen à construire un igloo pas moins de 60 fois. Cela signifie qu’Amundsen a dû construire 59 fois de suite des igloos instables, difformes ou même qui risquaient de s’effondrer sur lui, avant de réussir.
Alors, comment se sont déroulées mes interactions avec les Inuits dans l’ensemble ? Leroy Nakoolaq m’a dit, avec son plus grand sourire : « Puisque vous traduisez tellement de l’anglais vers le français et du français vers l’anglais, pourquoi ne pas apprendre à traduire de l’anglais vers notre langue, l’inuktitut ? » J’ai répondu que j’aurais d’abord besoin de plusieurs leçons sur une base régulière, pour travailler mon inuktitut parlé. Je prends la taquinerie de Leroy, ainsi que sa suggestion que j’amplifie la voix des gens de Gjoa Haven afin qu’ils se fassent mieux entendre dans le Sud, comme une invitation amicale à apprendre davantage.
Merci à Jennifer Ullulaq et Robin Ikkutisluk pour leur travail d’organisation et de promotion des projections de mon film cette semaine.
Et un grand merci à Charlie Cahill et Nancy Logan, de CAP Enterprises, pour leur aide logistique inestimable.